mardi 1 novembre 2011

" Le Tibet made in China " de Yannick Van der Schuerend

" Le Tibet made in China "

de Yannick Van der Schuerend

Transmis par Jean-Claude Buhrer-Solal (Lausanne)

Date : 31/10
[ "De retour de Thaïlande sérieusement secouée par les inondations, nous écrit Jean-Claude Buhrer-Solal, j'ai découvert un papier d'une journaliste de la Tribune de Genève invitée avec quelques autres journalistes suisses par Pékin, article que je vous adresse. Yannick Van der Schuerend écrit ce qu'elle a pu entrevoir à Lhassa... " Il n'est pas sûr du tout que ce reportage corresponde tout à fait à ce que les dirigeants de Pékin espéraient avec leur opération de relations publiques en direction de la presse helvétique ! De là à ce que ce groupe de journalistes se voit accusé d'ingérence intolérable dans les affaires intérieures de la RPC... il n'y a pas loin ! ] Le Tibet made in China Pays des neiges - Mission accomplie. Le 9 octobre 1951, les troupes communistes de Mao entraient dans Lhassa. Plus d’un demi-siècle après et malgré de nombreux mouvements de révolte de la population tibétaine, le Toit du Monde est désormais sous contrôle. C’est en toute quiétude, mais à l’abri des regards étrangers, que les autorités chinoises ont fêté en juillet dernier le 60e anniversaire de la «libération pacifique» du Tibet, selon l’expression consacrée du régime. Yannick Van der Schueren - TDG.ch - 4.10.2011 - Mission accomplie. Le 9 octobre 1951, les troupes communistes de Mao entraient dans Lhassa. Plus d’un demi-siècle après et malgré de nombreux mouvements de révolte de la population tibétaine, le Toit du Monde est désormais sous contrôle. C’est en toute quiétude, mais à l’abri des regards étrangers, que les autorités chinoises ont fêté en juillet dernier le 60e anniversaire de la «libération pacifique» du Tibet, selon l’expression consacrée du régime. Reste à convaincre les sceptiques (nombreux) du bien-fondé de ce que l’immense majorité des Tibétains considèrent comme l’annexion pure et simple de leur pays. Pour vanter le respect de la culture tibétaine et le développement économique fulgurant de cette région dite autonome, Pékin a donc décidé d’inviter quelques journalistes de la presse helvétique. Une première. Et un pari risqué, sachant que la Suisse abrite la plus grande diaspora tibétaine d’Europe et que chaque apparition du Dalaï-lama sur notre territoire fait déplacer les foules. Visite guidée et étroitement surveillée au cœur du Tibet «made in China». 1 Le Grand Timonier en rêvait, les Chinois l’ont fait. La ligne de chemin de fer de 1142 kilomètres reliant Lhassa au reste de la République populaire a été inaugurée en 2006. L’aboutissement de plusieurs décennies de réflexion pour relever le défi de poser 547 kilomètres de rails sur le sol instable, qui alterne entre gel et dégel (permafrost), du plateau Qinghai-Tibet. Cinq ans de travaux, des centaines de milliers d’ouvriers et plus de quatre milliards de francs ont ensuite été nécessaires à la concrétisation de ce projet. Aujourd’hui, cette ligne, qui culmine à 5072 mètres d’altitude, est l’une des plus grandes fiertés du régime. Cet ouvrage herculéen met le Pays des Monts neigeux à portée de rail de Pékin, de Shanghai et de plusieurs métropoles du sud-ouest du pays. Alors qu’une nouvelle voie reliant Lhassa à la frontière népalaise est déjà en construction. Le gouvernement chinois présente cet exploit technologique comme un fantastique moyen de moderniser la province. Vrai. Il omet toutefois de préciser que ce chemin de fer facilite avant tout l’accès aux ressources minières dont regorge le Tibet, qu’il réduit considérablement le coût du transport militaire et qu’il permet d’accélérer la sinisation de la région. Le nombre de Chinois – soldats, touristes ou migrants à la recherche d’un emploi – qui débarquent quotidiennement en gare de Lhassa en témoigne. Et on comprend la crainte des autochtones de se faire envahir par les Hans, ethnie majoritaire de l’Empire du Milieu. De sources officielles, la cité des lamas sacrés compte 80% de Tibétains pour 20% de Hans. Dans la réalité, c’est à peu de chose près exactement l’inverse. «Regardez autour de vous… Vous en voyez beaucoup, des Tibétains?» lance discrètement un commerçant tout sourire. L’angoisse de nos hôtes – par ailleurs fort bienveillants – à l’idée que l’on puisse avoir le moindre contact avec la population rend ce genre d’aparté quasiment impossible. Au Tibet, plus encore qu’en Chine, les journalistes sont en liberté surveillée. 2 Après vingt-quatre heures de voyage, de paysages sublimes et de moments d’extase collective face aux troupeaux de yaks et d’antilopes qui batifolent à 4500 mètres d’altitude, le retour sur terre est brutal. Sur le quai de la gare aux allures très staliniennes de Lhassa, des uniformes à perte de vue. Tandis qu’un comité d’accueil se précipite pour nous passer une «hada» – traditionnelle écharpe blanche tibétaine – autour du cou, les centaines de soldats de l’Armée populaire de libération embarqués au petit matin à Golmud, au pied de l’Himalaya, sont accueillis en grande pompe. Dans quelques heures, ces hommes lourdement armés iront rejoindre leurs milliers de camarades chargés de surveiller les rues de la capitale. «Combien sont-ils? Que craignez-vous? Ce pays est-il si dangereux?» Un simple «Je vous rappelle que le Tibet n’est pas un pays» met un terme à toute tentative de conversation politique. Le lendemain, jour de l’entrevue entre le «Swiss media team» et M. Ding Yexian, vice-président du gouvernement du Tibet autonome, nos hôtes prennent les devants. «Après son discours, vous êtes priés de ne pas poser de questions.» Pour des raisons protocolaires nous précise-t-on. Evidemment. A peine son long monologue sur tout ce que la Chine a apporté aux Tibétains en matière de développement économique et social terminé, le vice-président se lève, nous salue et quitte les lieux. Fin de l’échange. 3 Avec ses enseignes scintillantes, ses hôtels étoilés, ses karaokés, ses maisons de jeu et de passe et ses bars à soldats, Lhassa est devenue de prime abord une ville chinoise comme les autres. Il faut se rendre dans le centre historique, aux pieds du temple de Jokhang, le premier temple du bouddhisme tibétain et point de convergence de tous les pèlerins, pour entendre battre (brièvement) le cœur spirituel du Tibet. C’est ici qu’en mars 2008, peu après les émeutes, des moines ont fait irruption devant un groupe de journalistes étrangers pour dénoncer les abus des forces chinoises au Tibet. Autant dire que les organisateurs de ce «Lhassa tour» veulent éviter tout bis repetita. La visite des lieux se déroule sans incident, mais au pas de charge et sous l’œil attentif d’une armada d’accompagnateurs. Pas moyen de vagabonder librement dans les ruelles animées ni le temps de s’imprégner des odeurs d’encens et de beurre de yak, utilisé comme cire à bougies dans les édifices religieux. C’est en quittant – à contrecœur – cette place qu’on remarque que chacune des unités militaires patrouillant dans le quartier est équipée d’un extincteur… De peur qu’un bonze ne s’immole, apprendra-t-on plus tard. Direction le Potala. Devant l’affluence de touristes chinois, l’accès du nombre de visiteurs par jour a été restreint et la visite de la demeure ancestrale des dalaï-lamas est limitée à une heure. Il faut donc jouer des coudes et accélérer les pas pour arriver à parcourir, dans le temps imparti, tous les étages de ce palais légendaire miraculeusement épargné pendant la Révolution culturelle. Inutile de chercher une représentation de l’actuel Dalaï-lama (le 14e) dans les mille et une merveilles architecturales et religieuses dont recèlent les lieux. Ici, nul ne se risque même à chuchoter son nom. La bête noire de Pékin, Tenzin Gyatso, réfugié en Inde depuis 1959, n’existe pas. La version chinoise de l’histoire du bouddhisme tibétain s’arrête avec son prédécesseur, Sa Sainteté le Grand Treizième. Le reste des visites se succède avec l’étrange sentiment que pour les Chinois, la culture tibétaine appartient depuis longtemps au passé. 4 Pas facile de sortir de Lhassa. Les convois militaires provoquent des embouteillages sur la route du lac Namtso, l’un des plus sacrés du Tibet, situé à 150 kilomètres de la capitale. Dans les vastes étendues, les nomades, victimes depuis les années 90 d’une politique de sédentarisation, ont troqué le cheval contre la moto. Pékin entend ainsi protéger les écosystèmes fragiles du haut plateau tibétain contre les dégâts infligés par leurs troupeaux de yaks… Le discours officiel ne mentionne pas en revanche la destruction massive de l’environnement, liée à la surexploitation minière et forestière par l’Etat chinois depuis 1949. Il est prévu que l’ensemble des 2,25 millions de nomades tibétains soient installés dans des habitations permanentes. Sur les hauts plateaux, les petites maisons en béton – surmontées d’un drapeau chinois – poussent comme des champignons. Quant aux principaux intéressés, ils sont priés de se taire et de dire merci. Ainsi leur mode de vie vieux de plus de 2000 ans est tout simplement menacé de disparition. N’en déplaise aux autorités chinoises et en dépit d’un merveilleux voyage, et du dévouement de nos guides, force est de constater – comme l’a écrit à maintes reprises la journaliste Claude B. Levenson, décédée à Lausanne l’an dernier – que le Tibet est un territoire militairement occupé et économiquement colonisé. Que les Tibétains n’ont pas d’accès libre à l’information, qu’ils sont tenus au silence sous peine de se faire arrêter et que quand leur culture est «respectée», elle est «folklorisée» ou reléguée au musée.
-----------------------------------------------------------------------------------